L’Analyse du Cycle de Vie d’un produit alimentaire permet de disposer d’une méthode standardisée et maîtrisée pour évaluer son empreinte environnementale. Nous avons évoqué dans un article précédent les bénéfices que peut procurer l’IA pour industrialiser cette Analyse du Cycle de Vie (ACV), et permettre ainsi d’accélérer le déploiement de stratégie climat pour les industriels de l’agro-alimentaires ou les organisations de producteurs.
Néanmoins aucune méthode n’est parfaite. Malgré les bénéfices indéniables qu’elle apporte pour la clarification des impacts, l’ACV présente de par sa définition même des limitations intrinsèques qui l’empêchent d’appréhender de manière globale les enjeux environnementaux de notre système alimentaire, voire s’avérer contre-productifs.
La critique principale portée à l’ACV est qu’elle n’appréhende l’agriculture que dans sa fonction de “production alimentaire”. Ceci se traduit dans les indicateurs ACV de “performance environnementale” qui sont toujours ramenés à la “quantité de produit fabriqué”. On raisonnera ainsi en impact “par kilo de produit fabriqué”, favorisant ainsi naturellement les systèmes productivistes et négligeant les autres fonctionnalités de l’agriculture – comme par exemple la ruralité, l’entretien des territoires, etc.
En outre, de par sa définition même, l’ACV ne se concentre que sur les impacts “négatifs” (ou externalités négatives) de l’agriculture, en excluant toute prise en compte des services que l’agriculture rend à la société (par exemple en terme de santé des personnes, de maintien de la vitalité dans les territoires, de régulation naturelle de l’eau ou des sols) ou des services que les écosystèmes naturels rendent à l’agriculture (pollinisation, fourniture d’azote aux plantes par les sols, cycle de l’eau, etc.). Ces services “écosystémiques” sont totalement ignorés par la méthode ACV, héritée du secteur industriel, qui considère ab initio l’agriculture comme une activité polluante dont l’efficacité doit être optimisée. L’ACV peine donc à prendre en compte les enjeux environnementaux dans leur globalité ainsi que les démarches de pratiques agricoles plus harmonieuses.
Ces critiques éclairent pourquoi l’ACV, en tant que méthode de comptabilité analytique à la maille du produit fini, favorise naturellement les systèmes de production agricole très intensifs, et n’est pas une méthode permettant de promouvoir l’agriculture biologique ou les pratiques de production extensives.
Est-il possible d’aller “au-delà de l’ACV” tout en restant dans une démarche de comptabilité basée sur une démarche scientifique ? Peut-on “compléter” l’ACV pour la rendre plus compatible avec la nature complexe et spécifique des systèmes alimentaires, leur dimension territoriale et les services environnementaux qui leur sont associés ?
Une direction prometteuse d’unification est celle développée par Olivier Thérond et Michel Duru de l’INRAE dans un article de Juin 2021 publié dans la revue de l’AFA. Dans cet article, les auteurs proposent de combiner l’ACV, comptabilisation orientée “impacts”, avec une comptabilisation de services écosystémiques (SE), orientée “services”.
En comparant de manière très concrète 3 systèmes de production végétale – agriculture conventionnelle, biologique et agro-écologique – les auteurs montrent que l’approche combinée “impact + services écosystémiques” permet d’assurer une comparaison bien plus “équitable” entre ces systèmes de productions qu’une simple ACV. On constate en particulier que, pour les systèmes de production en agriculture biologique et agro-écologique, le classement des “services” s’inverse par rapport à celui des “impacts”, ce qui permet de les comparer au système de production conventionnel de manière plus juste et plus équilibrée.
Cette approche globale a l’avantage de sortir du clivage traditionnel entre productivistes et naturalistes, et d’adresser de front la complexité du vivant et des territoires. En comparant les bénéfices et les inconvénients de chacun des 3 modes de production étudiés, elle ouvre la voie à des processus de décision plus éclairés, moins idéologiques et plus pacifiés, à toutes les mailles de la chaîne de valeur, de la ferme à la fourchette.
Ces travaux montrent qu’il est possible, pertinent et surtout désirable d’aller au delà de l’ACV pour l’évaluation de l’impact des produits alimentaires. La définition d’un modèle global permettant d’associer la réduction des impacts et le développement des services écosystémiques est particulièrement important dans le contexte politique et réglementaire actuel, où la méthodologie de l’Eco-Score doit être finalisée courant 2023.
Ce modèle global sera aussi la clé du modèle économique de demain dès lors qu’il faudra s’accorder sur la rémunération des agriculteurs pour la mise en oeuvre de pratiques durables, de services environnementaux et pour accompagner les transitions. Enfin, il permettra au consommateur d’avoir une vision plus juste, plus avisée et plus “positive” de son alimentation en y intégrant toutes les facettes de la production agricole.